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L'accusation de génocide

Dans les années 1990, des chercheurs sur les pensionnats et de nombreux leaders autochtones ont commencé à affirmer que les efforts du gouvernement canadien pour assimiler les Peuples Autochtones dans les pensionnats incarnaient le principe du génocide culturel : l'intention de détruire les Peuples Autochtones en tant que groupe culturel distinct.
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  • Genocide

Dans les années 1990, des chercheurs sur les pensionnats comme James R. Miller et de nombreux leaders autochtones ont commencé à affirmer que les efforts du gouvernement canadien pour assimiler les Peuples Autochtones dans les pensionnats incarnaient le principe du génocide culturel : l'intention de détruire les Peuples Autochtones en tant que groupe culturel distinct. 1  D'autres chercheurs ont réfuté cette affirmation en soulignant que la destruction culturelle d'un groupe ne fait pas partie de la version finale de la Convention sur le génocide des Nations Unies. 2  Le débat se poursuit depuis et il s'est accentué : quelle est la bonne façon d'aborder la destruction presque complète des Peuples Autochtones, de leurs langues et de leurs cultures? Quelle est la responsabilité du gouvernement dans ce processus?

De plus en plus d'activistes, de chercheurs et de leaders communautaires appellent maintenant le gouvernement à reconnaître ces politiques comme un génocide, même si des tueries de masse n'ont pas eu lieu au Canada. 3  À titre de preuves, ils énumèrent les politiques comme la suppression des langues et des cultures autochtones dans les pensionnats, le retrait forcé des enfants de leur famille autochtone dans les années 1960 et 1970, et la négligence fatale envers les élèves dans le système de pensionnats. Le débat entourant cette question soulève de nombreuses questions. Qu'est-ce qui est en jeu pour les Peuples Autochtones? Pourquoi le gouvernement est-il réticent à parler de génocide? Pourquoi certains groupes refusent-ils que cette désignation s'applique à l'exploitation des pensionnats autochtones? 4  (Pour en savoir plus sur ce débat complexe, voir le Chapitre 7 de ce guide.)

Premièrement : de quelle façon le terme génocide est-il interprété à l'origine? Pour Raphael Lemkin, le juriste juif polonais qui a créé le terme, la destruction culturelle d'un groupe était aussi grave que l'anéantissement physique de ses membres. Au début des années 1930, M. Lemkin a fait de grands efforts pour élargir sa définition du crime qu'il a plus tard appelé génocide au-delà de la destruction physique des humains. Il a affirmé dans un article datant de 1933 : « Notre héritage tout entier est le produit des contributions de toutes les nations ». Pour lui, la destruction des groupes culturels était, en fait, une agression contre l'humanité elle-même si, dans les faits, l'humanité est la somme de toutes les cultures du monde. Il a également ajouté un autre élément à sa notion de destruction d'un groupe : la « destruction systématique et organisée de l'art et de l'héritage culturel dans lesquels le génie unique et les réalisations d'une collectivité sont révélés dans les domaines de la science, de l'art et de la littérature ». 5

De nombreux chercheurs se sont tournés vers la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 (la Convention sur le génocide). Dans l'Article 2, le génocide est défini de la façon suivante : l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) Meurtre de membres du groupe;

b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe;

c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;

d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;

e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe. 6

Lorsque le Canada a ratifié la Convention, les représentants du gouvernement maintenaient qu'elle était conçue pour aborder les crimes commis en Europe, et plus particulièrement l'Holocauste. 7  Ainsi, le Canada a rejeté de nombreux articles clés. Mais malgré l'absence de lois canadiennes sur cette question, les chercheurs, les activistes autochtones et les leaders communautaires affirment que l'Article 2(e) est particulièrement pertinent. Ils affirment que les pensionnats autochtones, en plus de la Rafle des années 1960, lors de laquelle des milliers d'enfants autochtones ont été retirés de leur propre famille, étaient dans les faits une tentative de transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe. 8

D'autres chercheurs ont suggéré que la définition des Nations unies n'était pas assez étoffée. Ils affirment que la destruction physique d'un groupe ne doit pas être le seul facteur qui définit le génocide. Un groupe dont les structures politiques, culturelles et économiques sont rejetées ou détruites ne peut pas continuer à exister en tant que groupe distinct. Lorsque les choses qui donnent à ce groupe son identité collective sont détruites, le groupe cesse d'exister. 9  Dans la même veine, certains affirment que si l'intégrité culturelle distinctive d'un groupe est détruite, il ne peut plus exister en tant que groupe. Selon cette logique, puisque le processus tout entier de la Convention sur le génocide était de criminaliser la destruction des groupes, ce qui s'est passé au Canada colonial constitue un génocide. En effet, comme nous l'avons vu plus haut, c'est ce vers quoi M. Lemkin tendait. Le sociologue Andrew Woolford de l'Université du Manitoba à Winnipeg résume cette opinion :

Si le génocide est compris comme la « destruction de la vie de groupe au lieu des vies dans un groupe », alors dans le cas des peuples autochtones du Canada, cela signifie comprendre ce qui fait d'eux un groupe, ce qui définit leur cohésion culturelle, comme un profond attachement à la terre et à la nature. Ainsi, dans le passé colonial du Canada, la privation systématique imposée aux Premières Nations de l'accès aux terres pour que les colons européens puissent s'établir et pour pouvoir construire le chemin de fer, constitue un acte de génocide. 10

L'argument du génocide culturel est directement lié à la question au cœur de ce guide : les pensionnats autochtones. De plus en plus de critiques soutiennent que les efforts coloniaux d'assimilation, le but premier des pensionnats, contrevenaient aux lois sur le génocide. 11  Au même moment, d'autres personnes continuent d'affirmer que la destruction culturelle d'un groupe ne fait pas partie de la Convention sur le génocide des Nations Unies. 12  (Le génocide culturel a été exclu de la Convention sur le génocide, en raison des objections de pays comme l'Australie, les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada et la France).

D'autres problèmes entourent l'interprétation du génocide : à savoir, l'idée qu'il s'agit d'un plan intentionnel et orchestré pour détruire un groupe en totalité ou en partie. 13  « Les preuves de l'intention claire de détruire sont incertaines lorsque l'on tente d'établir le génocide par les colons canadiens, écrit Adam Muller de l'Université du Manitoba à Winnipeg, mais l'on ne peut pas dire qu'elles sont totalement absentes. » 14  En effet, plusieurs pointent les écrits de Duncan Campbell Scott, qui était responsable des pensionnats autochtones de 1909 à 1932 (dans de nombreuses fonctions). 15  En 1910, il a déclaré qu’« il est couramment reconnu que les enfants Indiens perdent leur résistance naturelle à la maladie par la cohabitation très rapprochée dans les pensionnats, et qu’ils y meurent beaucoup plus que dans leurs villages. Mais cela ne permet pas de justifier un changement de la politique de ce ministère, qui est d’apporter une solution finale à notre problème Indien ». 16  La « solution finale » de Scott était l'assimilation, pas la destruction physique, ce qui, pour les chercheurs sur le génocide, signifie que le terme génocide doit être qualifié comme crime de « génocide culturel » ou que sa signification doit être modifiée totalement.

Pour plusieurs, le Rapport final de la Commission de vérité et réconciliation de 2015 semble avoir réglé le débat. Cet organisme national a déclaré que « l’établissement et le fonctionnement des pensionnats ont été un élément central de cette politique, que l’on pourrait qualifier de génocide culturel. Les auteurs du rapport final expliquent :

Les États qui s’engagent dans un génocide culturel visent à détruire les institutions politiques et sociales du groupe ciblé... Des langues sont interdites. Des chefs spirituels sont persécutés, des pratiques spirituelles sont interdites et des objets ayant une valeur spirituelle sont confisqués et détruits. Et pour la question qui nous occupe, des familles à qui l’on a empêché de transmettre leurs valeurs culturelles et leur identité d’une génération à la suivante... Le gouvernement canadien a poursuivi cette politique de génocide culturel parce qu’il souhaitait se départir des obligations légales et financières qui lui incombaient envers les peuples autochtones et reprendre le contrôle de leurs terres et de leurs ressources. Si chaque Autochtone avait été « intégré à la société », il n’y aurait plus de réserves, plus de traités et plus de droits autochtones. 17

Ces questions et ces enjeux seront analysés davantage au Chapitre 7.

  • 1James R. Miller, Shingwauk’s Vision: A History of Native Residential Schools (Toronto: University of Toronto Press, 2012), 9–10.
  • 2Le concept de « génocide culturel » faisait partie de la première ébauche de la Convention sur le génocide, mais il en a été retiré en raison des objections de pays comme l'Australie, les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada et la France. Voir Shamiran Mako, « Cultural Genocide and Key International Instruments: Framing the Indigenous Experience », International Journal on Minority and Group Rights 19 (2012), 183; Première ébauche de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, préparée par le Secrétariat des Nations unies, [Mai] 1947 [UN Doc. E/447].
  • 3Andrew Woolford, Jeff Benvenuto et Alexander Laban Hinton, « Introduction » dans Colonial Genocide in Indigenous North America, (Durham: Duke University Press, 2014), 5–7.
  • 4Pour en savoir plus sur le débat sur cette question au cours des dernières années, voir A. Dirk Moses, « Does the Holocaust Reveal or Conceal Other Genocides? The Canadian Museum of Human Rights and Grievable Suffering » dans Alexander Laban Hinton, Thomas la Points et Douglas Irvin-Erickson, Hidden Genocide (New Brunswick, NJ: Rutgers University Press, 2014), 21–51.
  • 5Raphael Lemkin, « Acts Constituting a General (Transitional) Danger Considered as Offense against the Law of Nations », site Web de Prevent Genocide International, consulté le 10 octobre 2015. Également cité et analysé dans Facing History and Ourselves, Totally Unofficial: Raphael Lemkin and the Genocide Convention (Brookline: Facing History and Ourselves, 2007), 11–15.
  • 6Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, Paris, 9 décembre 1948, site Web des Nations unies, consulté le 8 octobre 2014 Pour en savoir plus, voir Facing History and Ourselves, Totally Unofficial: Rafael Lemkin and the Genocide Convention (Brookline: Facing History and Ourselves, 2007).
  • 7David Mac Donald explique : « Lorsque le Canada a [ratifié] la CGNU en 1952, nous l'avons fait de façon très sélective. Des sections de la Convention ont été exclues du Code criminel, de façon à ce que le génocide ait seulement la définition de l'Article 2 (a) et (b). Les raisons officielles données au Parlement... étaient que [les] sections de la CGNU « destinées à couvrir certains incidents historiques en Europe avaient peu de pertinence avec le Canada » et peuvent être omises sans préjudice. Ils ont même affirmé qu'il n'y avait pas eu de transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe... au Canada ». Voir David B. MacDonald, « Genocide in the Indian Residential Schools: Canadian History through the Lens of the UN Genocide Convention » dans Woolford, Benvenuto et Hinton, Colonial Genocide in Indigenous North America, (Durham: Duke University Press, 2014 ), 309.
  • 8David B. MacDonald and Graham Hudson, «The Genocide Question and the Indian Residential School in Canada » Revue canadienne de science politique 45 (2012), 428; Adam Muller, « Troubling History, Troubling Law: The Question of Indigenous Genocide in Canada », à venir.
  • 9Norbert Elias, Society of Individuals, trans. Edmund Jephcott (New York: The Continuum International Publishing Group, 2001), 183–84, 196–97. Pour M. Elias, l'équilibre entre l'identité individuelle et l'identité collective d'une personne reflète la société dans laquelle elle vit; ainsi, dans les sociétés plus traditionnelles, l'identité collective est plus forte, alors que l'identité moderne penche davantage vers l'identité individuelle.
  • 10Cité (d'une entrevue) dans Mary Agnes Welch, « The Genocide Test » Winnipeg Free Press, 12 juillet 2014.
  • 11James Miller, Shingwauk’s Vision, 9–10.
  • 12Shamiran Mako, « Cultural Genocide and Key International Instruments: Framing the Indigenous Experience », International Journal on Minority and Group Rights 19 (2012), 183.
  • 13La question de l'intention est analysée dans le livre de David B. MacDonald « Where Are Canada’s History Wars? Indigenous Genocide and Public Memory in Australia, the United States, and Canada », à venir.
  • 14Adam Muller, « Troubling History, Troubling Law: The Question of Indigenous Genocide In Canada », à venir.
  • 15Magen Sproule-Jones, « Crusading for the Forgotten: Dr. Peter Bryce, Public Health, and Prairie Native Residential Schools », Bulletin canadien d'histoire de la médecine 13 (1996), 217–218.
  • 16Cité dans Anthony Hall, Earth into Property: Colonization, Decolonization, and Capitalism (Montréal/Ontario: McGill- Queen’s University Press, 2010), 676.
  • 17« Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir : sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada » (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015), 1–3. Accent ajouté.

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Using the strategies from Facing History is almost like an awakening.
— Claudia Bautista, Santa Monica, Calif