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Les diplomates et la décision de sauver des vies

Lisez les histoires de deux diplomates qui ont choisi d’utiliser leur statut pour sauver des Juifs des Nazis pendant la Seconde Guerre mondiale.
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  • Histoire de la Shoah

Pour toute personne qui sauve une vie, la décision d’aider est générée par la conjonction de la volonté et des circonstances. Les diplomates en poste en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale ont parfois eu des occasions uniques de sauver des personnes vulnérables de l’extermination par les nazis. En tant que représentants du gouvernement de leur pays, ils disposaient de divers outils, y compris le pouvoir de délivrer ou de valider des papiers dont les Juifs avaient besoin pour changer de pays. Le « diplomate sauveteur » le plus célèbre est peut-être Raoul Wallenberg, ambassadeur spécial de Suède en Hongrie, est réputé pour avoir sauvé des dizaines de milliers de Juifs en créant de faux papiers et des visas de sortie pour leur permettre d’émigrer, ainsi qu’en établissant des logements protégés et un ghetto en Hongrie pour freiner la déportation des Juifs. Pour Wallenberg et plusieurs autres diplomates, les occasions d’aider impliquaient de graves risques, mais ils ont choisi de violer les règles qu’on leur avait demandé de respecter et ont utilisé leur statut officiel pour trouver des moyens d’aider les Juifs et les autres victimes à s’échapper.  

En 1940, Chiune Sugihara était ambassadeur du Japon en Lituanie. Comme d’autres diplomates internationaux, il était basé à Kaunas. La ville est alors la capitale de la Lituanie indépendante et accueille des représentations consulaires d’autres pays, même après la chute de la Lituanie aux mains des Soviétiques en juin 1940. Kaunas abrite alors aussi une importante population juive, qui augmente avec l’arrivée de réfugiés fuyant la persécution en Pologne, après l’invasion allemande de 1939. Lors de la poussée de l’armée nazie en Europe à l’été 1940, l’Union soviétique ordonne à l’ensemble des ambassades et consulats étrangers de fermer leurs portes et de déplacer leurs diplomates à Moscou. Dans le même temps, des réfugiés juifs apatrides demandent à ces diplomates de les aider à obtenir les papiers nécessaires pour fuir en lieu sûr.  

Au milieu de cette confusion imposée par la guerre, Sugihara demande aux Soviétiques la permission de rester en Lituanie un mois de plus. Il constitue alors une exception frappante : les autres diplomates ayant obéi aux ordres soviétiques et ayant quitté les lieux. La prolongation lui a été accordée et Sugihara l’a immédiatement mise à profit. Il avait été chargé par le gouvernement japonais de ne délivrer aucun visa aux Juifs qui ne disposaient pas des documents appropriés, mais il a décidé de défier cet ordre. Chiune Sugihara s’associe à un homme d’affaires et diplomate néerlandais du nom de Jan Zwartendijk, qui fournit les documents nécessaires pour se rendre sur l’île de Curaçao, dans les Caraïbes, alors sous contrôle néerlandais. Sugihara délivre ensuite des milliers de visas de transit qui permettent aux personnes de voyager hors d’Europe et de passer par le Japon en se rendant sur l’île. L’épouse de Sugihara, Yukiko, se trouvait à ses côtés à Kaunas.

Elle décrivit plus tard comment son mari prit la décision d’aider les réfugiés à s’échapper:

Au début, mon mari a refusé. « Le Japon est l’allié de l’Allemagne et nous ne pouvons pas le faire », déclarait-il. Les représentants des réfugiés étaient tenaces. « Nos vies sont en danger », affirment-ils ; « peut-être serait-il possible de délivrer des visas d’entrée. » Mon mari m’a consulté et m’a ensuite dit qu’il essaierait d’envoyer un télégramme au ministère japonais des Affaires étrangères, même s’il était sûr que rien n’en sortirait. « Nous allons voir ce qui va passer », a-t-il dit, et il a envoyé le télégramme. Mon mari a donc envoyé le télégramme, mais, comme nous l’avions prévu, la réponse a été un non catégorique : « Négatif, ne délivrez pas de visas. »

 . . . J’ai dit à mon mari qu’en dépit de tout, nous devions aider ces gens. Ça nous empêchait de dormir. Nous avons continué à réfléchir sans cesse à ce que nous pouvions faire. En plus de cela, j’ai eu un bébé, nous avions alors trois jeunes enfants. Si mon mari délivrait des visas contrairement aux instructions du ministère des Affaires étrangères, alors à notre retour au Japon, il perdrait sans aucun doute son poste. Ou pire encore : nous pourrions être nous-mêmes mis en danger par les nazis qui pourraient nous arrêter, ou nous pourrions devoir prendre la fuite pour avoir aidé des Juifs. Mon mari, moi et les enfants. 

Nous réfléchissions sans cesse à quoi faire et les représentants des réfugiés continuaient à nous supplier. « Donnez-nous des visas, s’il vous plaît. » Quoi qu’il en soit, il n’y en a aujourd’hui que quelques centaines, mais des milliers de Juifs vont arriver. Mon mari et moi avons pensé qu’il s’agissait des vies de milliers d’êtres humains. 1

Pendant 29 jours, Sugihara a travaillé 24h / 24 pour rédiger à la main les visas de transit. Il a été directement impliqué dans le sauvetage de plus de 3000 Juifs. Ses actes lui ont coûté son poste et sa pension : pendant un certain temps après la guerre, il a dû devenir bagagiste et vendeur en porte-à-porte avant de se réorienter vers une autre carrière. 

Selahattin Ülkümen, le consul de Turquie sur l’île grecque de Rhodes, a également choisi d’utiliser son statut de diplomate pour secourir des juifs menacés d’expulsion et de mort. En juillet 1944, Rhodes est sous contrôle de l’Allemagne qui annonce un plan pour rassembler les 1700 juifs de l’île et les envoyer à Auschwitz. Ülkümen est profondément affligé d’apprendre ce projet. Son arrivée à Rhodes date de 1943 et il est hanté par ce qu’il sait des agissements allemands en Europe. Inquiet du sort des Juifs turcs présents sur l’île, il décide d’en protéger le plus possible.  

Lorsque les rafles commencent, Ülkümen fait remarquer aux Allemands que la Turquie a signé un accord de neutralité avec l’Allemagne : il leur rappelle que nuire à tout citoyen turc serait en infraction avec cet accord et que les Juifs turcs de Rhodes méritaient la pleine protection de la Turquie et ne devraient pas être détenus ou expulsés. Il plaide également en faveur de l’acceptation d’autres Juifs à la nationalité turque, en cas de mariage avec un citoyen turc. Enfin, Ülkümen annonce que son gouvernement ne fait aucune distinction entre musulmans, juifs ou chrétiens et qu’il se considère comme responsable de la sécurité de l’ensemble de ses citoyens. Grâce à sa persévérance, il obtient la libération de 40 à 50 juifs munis d’un passeport turc ou liés à une famille en ayant un. Le fils d’Ülkümen, Mehmet, rappelle plus tard :

Mon père Selahattin Ülkümen et ma mère Mihrinissa ont été les témoins d’une partie de cette immense tragédie se déroulant sous leurs yeux sur l’île de Rhodes vers la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ils ont vu la trahison de dieu, la trahison de l’homme et la chute de l’humanité. Ils ont également vu comment l’homme pouvait tuer son propre voisin simplement parce qu’il était différent. Ils ont aussi réalisé comment il était facile pour les gens de fermer les yeux sur la vérité à cause de leur propre haine, de leur lâcheté ou simplement de leur indifférence. 

Mon père ne pouvait pas simplement rester à côté et observer; il n’a pas fermé les yeux, il n’a pas non plus acquiescé à la haine ou à l’indifférence latente. Au lieu de cela, avec le soutien sans faille de ma mère, il s’est levé, non pas en tant que héros, pas en tant que diplomate, ni en tant que musulman ou que citoyen turc, mais plutôt en tant qu’homme, répondant à l’appel de Dieu pour protéger son frère, un appel qui allait plus tard coûter la vie de la personne la plus chère à ses yeux : ma mère. 2  

Même si on ne sait pas vraiment pourquoi, des avions allemands ont ensuite bombardé la résidence d’Ülkümen, blessant mortellement sa femme enceinte, parmi d’autres personnes. (La Turquie avait alors rejoint les forces alliées) Le fils à naître d’Ülkümen, Mehmet, est alors sauvé par les médecins, mais en apprenant le décès de la femme d’Ülkümen, sa mère met fin à ses jours. La majorité des 1700 Juifs de Rhodes ont été envoyés à Auschwitz, mais ceux que Ülkümen a pu sauver ont survécu à la guerre.

Connexions

  1. En raison de leur poste de diplomates, quelles occasions ont permis à Sugihara et Ülkümen de sauver des Juifs de la déportation par les nazis ? 
  2. De quels dangers et obstacles les familles Sugihara et Ülkümens ont-elles dû tenir compte avant de prendre leur décision de secourir des Juifs ? Qu’est-ce qui les a finalement convaincus d’agir ? À quelles conséquences ont-elles dû faire face en raison de leurs choix ? 
  3. Comment Sugihara et Ülkümen ont-ils défini le périmètre de leurs obligations ? Quels aspects de leur identité ont pu influencer leur choix d’aider ?  
  4. Où se situe la frontière entre devoir et conscience ? À quel moment les considérations éthiques doivent-elles prévaloir sur les devoirs des diplomates de mener à bien les politiques de leur gouvernement ? 
  5. Quelles circonstances ou qualités personnelles peuvent amener une personne et non une autre à faire prendre la bonne décision, quelles qu’en soient les conséquences ?

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— Claudia Bautista, Santa Monica, Calif